vendredi 23 mai 2008

L'arme de soumission massive

On pensait s'en être tiré plus ou moins indemne. Et depuis une semaine : BOUM! Le dépôt du rapport de la Commission Bouchard-Taylor donne l'impression d'un désagréable retour en arrière. Un peu comme si un «ami» qui nous tapais sur les nerfs et qu'on ne voyait plus depuis plusieurs années sonnait à notre porte, sans prévenir (ou si peu).

Je dois dire que je suis toutefois agréablement surprise par la retenue et la modération du rapport. Les hérouxvillois pètent leur coche, sûrement parce que ce n'est pas écrit en noir sur blanc «sortez dehors les maudits étranges», mais moi, je me réjouis. Ils n'ont pas été dupes, c'était une crise fictive, montée en épingle par les propos populistes de Mario Dumont et les peurs profondes de nos compatriotes face à l'étranger et l'autorité religieuse. Hourra! Probablement que le fait qu'il y ait eu un historien dans leur rang (hum hum, autoglorification) a donné un bon coup de main :)

Donc, nos médias (mon employeur y compris) regorgent de textes qui portent sur le rapport Bouchard-Taylor. En bonne citoyenne, je me suis fait un devoir de tous les lire, au moins en diagonale. C'est donc en arrivant à la fin du cahier A du Devoir que j'ai terminé mon calvaire. Et, chose surprenante, ce fut ce dernier texte qui m'intéressa le plus. Pour une fois, Lise Payette a su dire ce que moi-même je n'avais pas réussi clairement à exprimer.

Vendredi dernier, lors d'un party de voisins improvisé, j'ai eu une discussion avec une ancienne collègue d'université et son chum sur le port du voile. Nos opinions n'étaient pas totalement divergentes mais ils ont su apporter plusieurs points très intéressants. Entre autre, le copain m'a dit : «Une des raisons pourquoi on voit de plus en plus de femmes voilées, c'est parce qu'elle sont de plus en plus présentes, donc de plus en plus intégrées à la société. On devrait s'en réjouir non?». Et j'étais d'accord. Je ne l'avais jamais vu de cet angle mais, effectivement, si cette différence nous saute de plus en plus dans la face, c'est parce qu'au lieu de rester confiné dans les limites de leur foyer et de leur communauté, au lieu donc de se ghettoïser, les néo-québécois s'intègrent (sans s'y fondrent, sinon ce serait presque triste) de plus en plus dans toutes les sphères de la société québécoise. Devant cette façon de voir les choses, je n'ai pu m'empêcher d'acquiescer et de rejoindre le point de vue de mes voisins. MAIS, et là est la nuance, je ne pouvais non plus faire taire le malaise que provoque en moi le port du voile.

Nous avons donc poursuivi la réflexion. Qu'en est-il des femmes comme Irshad Manji qui sont musulmane et contre le port du voile? Plusieurs jeunes musulmanes décident de porter le voile relativement tard dans leur vie (vingtaine). Certaines disent le porter par contestation de la société de consommation et d'image dans laquelle nous vivons. Toutefois, mon malaise persiste. Peu importe les raisons qui motivent le choix de porter le voile (lorsque c'est un voile), je ne peux oublier sa signification première: soustraire la femme à la vue des autres (des autres hommes bien souvent) et même, surtout dans le cas de la burka ou du niqab, lui ôter une partie de son identité. Le voile est, à la base, un outil de sujétion de la femme. Et quand on me répond: «Qui sommes-nous pour leur dire que leurs symboles religieux entrent en contradiction avec notre société?», je comprends l'argument mais je ne peux m'empêcher de me dire qu'ôter le voile, bien que cela nous semble très radical, ne l'est pas plus que ces femmes qui ont brûlé leur soutien-gorge à une autre époque (époque où ce geste était probablement autant sinon plus controversé). Mais j'étais incapable de bien exprimer ma pensée à ce sujet.

Et vla ti pas que Lise Payette trouve les mots qui me manquait. Elle réussit, en deux petites phrases, à exprimer tout le fond du problème, tout ce qui me titille. Je vous les livre:

«On me répondra que des femmes sont venues dire aux commissaires qu'elles avaient choisi librement de porter le hidjab, que personne ne les y forçait. Une femme conditionnée par son milieu depuis sa tendre enfance, élevée avec l'idée qu'il vaut mieux porter le hidjab, peut-elle exercer un choix vraiment libre?» - Lise Payette, Le Devoir, 23 mai 2008

Voilà!!!! C'est ça le problème. J'ai grandi dans le monde post-féminisme. Avant même que je sois pubère, l'avortement était légalisé. L'année avant ma naissance, la loi obligeant les femmes à garder leur nom de jeune fille après leur mariage a été votée. Je suis une enfant de l'égalité... enfin de l'égalité sur papier. Car si la législation avait progressé, les individus, c'est une autre histoire. Mes grands-parents ont toujours fait preuve d'un grand favoritisme envers mon frère, seul fils de leur seul fils. Mes tantes n'ont jamais toléré que même l'ombre d'un reproche contre mon frère, mes oncles, mon père ou mes cousins soit dit en leur présence. Souvent, on disait d'aller «chercher un homme», «c'est une job d'homme», etc. J'ai grandi en niant et détestant ma nature féminine parce que mon milieu, bien involontairement mais aussi bien sournoisement, m'a appris qu'une femme était inférieure et faible. Je n'ai jamais voulu être inférieure et faible. Je me suis mise à détester la partie faible en moi, partie que nous avons tous, homme ou femme. Je détestais les bijoux, les jupes, les poupées. Je bûchais avec mon grand-père et je jouais avec des camions Tonka. On disait de moi, presque avec fierté, que j'abattais l'ouvrage d'un homme, que j'étais Tom-Boy, que je mériterais un jour d'avoir «la terre». J'ai mis des années à renouer, lentement, avec ma féminité et je n'y suis pas encore arrivée complètement.

Je ne sais pas combien de générations cela prendra avant que la véritable égalité entre homme et femme existe. Probablement 2 ou 3 mille ans. Mais encore aujourd'hui, toutes les femmes portent en elles des traces des anciennes mentalités. Nous les portons, nous les vivons, nous les transmettons même! Et encore, on essaie de les changer.

J'imagine alors une petite fille, qui grandti dans un milieu qui est très patriarcal, qui a vu sa mère, ses tantes ou toute autre femme de son entourage porter le voile toute sa vie, ou encore qui a toujours entendu parler du port du voile comme de l'absolu féminin, ce voile devient partie intégrante de son modèle féminin et de sa perception de son identité sexuelle. Cette petite fille une fois grande, à 18 ans ou 24 ans, peut-être aura-t-elle construit toute une argumentation rationnelle autour du fait de porter le voile. Et à ses yeux, ce sera valide.

Je ne dis pas qu'il faille interdire le port du voile, loin de là. Je n'ai pas de solution. Seulement cette réflexion, ce malaise, dans le symbole du voile, dans le rappel constant qu'il incarne, que la femme, de tout temps a été soumise et inféodé à l'homme et qu'encore aujourd'hui, malgré nos efforts, elle le soit encore, même si c'est moins flagrant. Et je ne peux m'empêcher de penser que tant que certaines d'entre nous, les femmes, accepterons, peu importe au nom de quel principe, de perpétuer ce symbole de soumission, nous ne pourrons pas renverser la vapeur.


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By the way, dans une optique similaire mais en même temps très différente, le projet de loi C-484 progresse toujours, lentement mais sûrement, vers une reconnaissance du foetus comme d'une entité distincte de sa mère. Sur le sujet ici et ici.

1 commentaire:

Moukmouk a dit...

Un bon billet, difficile de ne pas être d'accord avec toi. Le premier problème est là, ma mère et sans doute ta grand-mère portait souvent un fichu sur la tête. J'ai rien contre les fichus. Mais un homme qui impose à une femme, le port du voile, de la jupe ou du bikini, mérite la prison. Je me doute bien que c'est une loi inapplicable mais de la voter ferait réfléchir les intégristes( de tous style).

Mais il faut que les filles continuent le travail de libération entre elles. Ça il n'y a pas de loi possible pour interdire la soumission.