samedi 15 décembre 2007

La détresse

Mardi dernier, l'Élu et moi sommes allé voir, au Périscope, la pièce «On achève bien les chevaux». La pièce est une adaptation libre, par la metteure en scène, Marie-Josée Bastien, du roman d'Horace McCoy. Je vous renvoie également au film du même nom, de 1969, par Sydney Pollack (They shoot horses, don't they?).

La pièce se passe dans le Québec de la crise économique, entre les deux guerres. Pour détourner l'attention d'une énorme transaction d'alcool, un bootlegger organise un marathon de danse, où le couple gagnant repart avec la somme de 1500$, une fortune pour l'époque, encore plus dans ces temps de misère. Sur la scène, la piste de danse, le commerçant sans scrupule profite de la misère humaine pour divertir son public (personnifié par LE public) et détourner l'attention du port, où ses hommes embarquent la cargaison.

Parmi les concurrents, nous sommes entraîné dans l'évolution d'une micro société entre cinq couples de danseurs, tous différents et avec chacun leur petit drame. Il y a les jeunes mariés encore idéaliste, l'épouse enceinte de cinq mois. Il y a le vétéran et sa compagne, tous deux blessés par la vie. Il y a la starlette en puissance et son maquereau du moment. Il y a le couple de bourgeois, notables de la ville qui ont tous perdus, réduits à se donner en spectacle, espérant ne pas être vus ou reconnus. Finalement, il y a Élizabeth, femme blessée et refoulée, pleine de rage, qui, privés de son partenaire par le médecin, recrute un jeune employé de la salle, à la dernière minute.

Et on danse et on balance, pendant 2h30, les histoires se révélant lentement à nous, avec ce qu'elles comptent de désillusions et de surprises. Chaque couple s'enfonce encore plus et, simultanément, se révèle à lui-même et devient plus vrai. La trame de fond et l'amorce de la pièce, le procès pour meurtre du jeune employé, procure une narration froide et tranchante des évènements, nous laissant deviner ce que la fin nous réserve, soit l'identité de sa victime.

Toujours plus assoiffé de la misère de ses victimes, le bootlegger/bourreau invente sans cesse des moyens de les torturer encore plus, pour le plaisir de son public. Le moment fort de la pièce: la bourgeoise ruinée, qui cède à la misère et ôte sa robe, en regardant dans les yeux la crapule qui se repaît de son humiliation. À la toute fin, Élizabeth et son partenaire, ultimement vainqueurs du marathon, après près d'un mois de danse ininterrompue, sauf par les quelques pauses de quinze minutes, se précipitent dans le bureau pour obtenir leur 1500$. Arnaqueur jusqu'au bout, le bootlegger se sauve en leur laissant les factures. L'objet de sa liberté lui filant entre les doigts, Élizabeth sombre et demande la grâce d'être libérée de son existence. Retour au procès où on demande au jeune homme, pourquoi il l'a tué. Et sa réponse?

On achève bien les chevaux.



Je souligne la performance d'Érika Gagnon, qui joue Élizabeth avec une blessure à la cheville. Malencontreux handicap dans une pièce qui requiert autant de chorégraphie et de mouvement. Chapeau!

2 commentaires:

Catherine a dit...

J'ai vu cette pièce cet automne. J'avais bien aimé! Mon copain n'en était pas certain... Le thème est assez "rough".

La Marsouine a dit...

Le théâtre a un impact beaucoup plus direct et personnel qu'un film ou un livre car ce sont des être humains en chair et en os que l'on observe. C'est l'aspect «voyeuriste» de la misère humaine qui nous interpèlle dans la pièce car simultanément, nous sommes nous mêmes voyeurs de la misère des personnages.