mardi 11 mars 2008

Histoire vraie en quatre saisons

Il y a des journées où je ne me peux plus d'avoir MA maison avec MA cour et un GRAND terrain....

Dans mes moyens, en fait dans nos moyens, et dans mes goûts (grand terrain, pas trop de voisins, le plus campagne possible), c'est Sainte-Brigitte-de-Laval. Je magasine sur SIA.ca en poussant des gros soupirs, sachant que pour le moment, on va rester encore au moins un an dans notre 5 et demi à petit prix. Tout le monde sacre contre le traffic et je sais que c'est bien le fun d'être à 2 minutes de tout.... mais les maisons avec des cours dans notre coin, c'est rare et c'est cher. En plus, j'y connais rien, l'Élu pas beaucoup plus. On a déjà magasiné un peu mais c'est relativement un acte de foi, acheter une maison pour la première fois. En même temps, ça va faire 8 ans que je vis en appartement et même si ça peut paraître peu de temps, pour moi c'est une éternité.

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J'ai été élevée en liberté voyez-vous. Je n'ai constaté que tout récemment à quel point mon chez moi d'enfance est un endroit privilégié, même chez mes compatriotes régionaux. 50 arpents de terrain, avec un lac, une forêt, le fleuve, tout ça sur une île en plus, c'est comme dur à trouver et si ça se trouve, ça doit coûter un bras. Sauf que.

J'ai passé 16 ans sur mon domaine, à dompter les grenouilles sauvages, à ramasser des mulots et des corneilles blessées, à parler aux ruisseaux du printemps, à essayer (en vain) d'attraper des oiseaux avec un bâton, une corde, une boîte en carton et du pain, à pêcher des mini-mini-truites au tamis de friteuse, avec mon père, dans les petits ruisseaux pour les transférer dans le lac pour qu'ils grossissent, à regarder mon père entretenir la forêt à coup de scie mécanique, me montrant les bouleaux jaunes (ou merisiers), qui font sa fierté, et les petits chênes, qu'il a lui même planté, à chasser les papillons et les taons avec des pots Mason, à cueillir des fraises des champs, des petites poires (amélanches), des framboises, des merises, des cerises et des pommes, à faire la course avec Kim, ma grosse chienne labrador-berger allemand au coeur d'or, à tondre le gazon avec le tracteur, à 12 ans, mon walkman sur les oreilles, convaincue que personne ne m'entends à cause du bruit mais avec ma mère crampée en deux parce qu'elle m'entends fausser jusque dans la cuisine. Parce que le terrain chez nous, ça se tond pas à la tondeuse, non monsieur. Même avec le tracteur, ça prend un bon 4 heures et c'est sans compter la finition à la tondeuse et au fouet.

Une enfance à plumer les poulets de ma grand-mère (la maison voisine) tous les automnes, poulets qui sont arrivés en poussins, qu'on a nourris tout l'été et qui se tortillent, la tête en moins, pendant un bon 5 minutes dans le champ avant de mourrir. À acheter des bébés canards en avril, à les soigner pendant 2 mois à l'intérieur (ça pue!!!!), à leur faire une petite cage avec un grand bol d'eau quand il fait assez chaud pour les sortir et, finalement, quand ils sont assez gros, à les amener dans le lac et à leur apprendre à dormir sur l'île, à l'abri des renards. On en perdait toujours un au profit des prédateurs. Mon père les tuait à l'automne et on devait attendre le printemps suivant pour être suffisament détachés pour les manger. Mon oncle, qui habite maintenant la maison de mes grands-parents, qui chasse l'outarde tous les automnes. C'est majestueux de voir une volée de bernache s'envoler et ça fait mal au coeur de les voir tomber au son des fusils. On a passé la soirée de ma fête, il y a deux ans, à flatter le doux duvet de la bernache tuée le matin, avant de la vider, le lendemain et de la préparer pour être congelée.

Il y a mon deuxième chien, une petite mope noire caractérielle, qui s'était perdu dans le bois pendant les premières semaines, toute une nuit durant, avec un des pires orages que j'ai jamais vu (ou était-ce amplifié par l'angoisse pour mon petit chien?), retrouvé le lendemain chez le 4e voisin, en arrière de son garage. Il y a la butte à Ragout, avec sa façade à pique, devant le fleuve et les montagnes de la rive nord, où je me réfugiais, à 14 ans, pour écrire des poèmes mièvres et désespérés. Il y a l'hiver, avec le vent qui siffle dans la cheminée, se joignant au bruit des buches de bouleau qui crépitent. Le champ tout en blanc, un peu comme si ma cour arrière avait fusionné avec le «clos à cochon» pour devenir une grand lit de mousse blanche. Les hivers où le lac gèle bien, on peut gratter la neige pour patiner. Les soirs de décembre où la neige tombe doucement, ma petite rue est silencieuse à part le bruit du transformateur de la lumière de rue. On allait prendre une marche, en pyjama sous nos manteau, pour entendre seulement le bruit de la neige sous nos bottes, aucune voiture ne venant troubler la paix de l'hiver.

Il y avait les soirées de la mi-carême, celle de cette année doit déjà avoir eu lieu d'ailleurs. Où mon oncle et mon père, quand il n'était pas reparti sur son bateau, se déguisent avec des «chiennes» de bateau, des masques d'halloween ou des vieilles robes pour aller giguer à la salle de l'âge d'or. Il y a la course de chien, la course en canot, le carnaval, les criées, le bingo, les tournois de cayowenne (jamais su comment ça s'écrivait), les tournois de cribble, les soirées de danse, les soupers ou déjeuners de l'âge d'or. Dans le temps, il y avait aussi le terrain de croquet où j'allais parfois avec mes cousines et leur père, juste à côté de l'église.

Et puis il y avait les dimanches midis. Toute mon enfance, on m'a traîné à la messe, une de mes tantes étant la seule à réussir à me tenir tranquille (elle me donnait des paparmanes). Après la messe de 10h30, à laquelle mon père va encore «religieusement» (héhéhéh), c'était le rassemblement de toute ma famille paternelle chez mes grands-parents, la maison voisine, et toute ma vie, jusqu'en 1998, tous les dimanches ou presque, on mangeait de la soupe aux légumes et au vermicelle, du poulet rôti avec des patates pilées, de la salade et des navets et de la tarte au sucre pis de la crème aux pommes pour dessert.

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Ça a été ça, ma vie. Oh bien sûr, je vous épargne tout le psychodrame de mon passage à l'école primaire et secondaire, la période dépressive de mon adolescence, la solitude, la rage, les conflits familiaux, les heurts entre mes parents, le retour au travail de ma mère. Parce que malgré toutes les moins bonnes choses, le recul que j'ai aujourd'hui me permet de voir aussi toutes les bonnes choses. Les premières semaines de l'été quand l'école était finie et que je courrais chez mes grands-parents, à 6h du matin, incapable de dormir plus longtemps, pour manger des toasts sur le copper en sandwich au bananes et à boire du «café» (de caf-lib en fait). De voir que mon enfance était un peu en dehors de son époque, que je vivais dans un monde à part, encore plein de rêves et de possibilités. Bon, bien sûr je n'ai jamais eu le cheval dont je rêvais, mais je suis encore jeune héhé. Cet endroit là, il sera à moi et à mon frère un jour. Je rêve du jour où je pourrai y retourner. Lui aussi d'ailleurs. Ce dont nous prenons conscience maintenant, c'est de la force des liens qui se sont développés entre nous et notre «terre», parce que s'en est une, la terre familliale. C'est l'attraction qui nous tiraille et nous force à y revenir. Ce n'est pas encore possible, pas tout de suite. Mais je ne peux m'empêcher de sentir son appel et ça fait presque mal.

C'est pour ça que, quand l'été approche (même si ça paraît pas trop ces temps-ci), je me mets à me languir d'un bout de terre à moi, d'un tout petit carré de gazon, où je pourrais m'étendre, fermer les yeux, et m'imaginer que je suis sous le chêne, derrière la maison de mes parents, à écouter le vent, les vagues au loin, les avions dans le ciel, les tondeuses des voisins, les voitures en bas de la côte, les enfants dans les champs, à respirer au rythme lent de la mer, du vent, de la vie.

14 commentaires:

Moukmouk a dit...

Peut-être mais le prix de l'essence est monté de 20% cette année et il doublera tous les 3 ans. Alors assures-toi qu'il est possible d'avoir du transport en commun pas trop loin... Le prix est déjà de 2,50 $ le litre en Europe et on atteindra très rapidement ce prix ici aussi.

La Marsouine a dit...

En région, il n'y en a pas de transport en commun...

Crispi et Djo a dit...

Ah ça sent bon l'île-aux-G!

Belle enfance que tu as eu, la Marsouine. Ste-Brigitte, c'est un peu moins bucolique mais il doit y avoir une petite place pour toi.

:)

Djo

La Marsouine a dit...

@crispi ou djo: désolée de vous décevoir mais même si on voit pas mal de grues sur les berges de mon île (qui sont des grands hérons en fait, merci à mon ornithologiste de beau-père), ce n'est pas l'Isle aux Grues qui est la mienne :)

Mais ça ne change rien au fait que j'ai effectivement eu une enfance extraordinaire.

Crispi et Djo a dit...

Ah? c'est la Mi-Carême qui m'a mélangée...

Djo

La Marsouine a dit...

@djo: wais ben il y a des «préjugés» culturels comme ça un peu partout :) Quand on parle de tourtière, tout le monde pense Lac Saint-Jean. Alors que moi, la première fois que j'ai mangé de la tourtière du lac, j'ai faite le saut, rien à voir avec la tourtière qu'on fait dans Charlevoix (oupppss viendrais-je de me vendre moi-là?)

Anonyme a dit...

J'ai lu, j'ai fermé les yeux et j'y étais sur ton île... magnifique billet.

La Marsouine a dit...

Cet été, si tu veux, tu y emmèneras Merveilleuse merveille sur mon île. Je pourrais lui montrer la plage de sable blanc dont seuls nous, insulaires, connaissons l'existence, le mouillage où Jacques Cartier est débarqué en 1535. Je lui montrerai la pointe de l'Islet et le Bout-d'en-bas. Je l'emmènerai dans le sous-bois pour lui montrer les concombres sauvages entrain d'éclore, les crottes de lièvres aussi et leurs auteurs qui gambadent dans le chemin du bois, la roche à Caya, le rocher de l'Indien, le quai de l'Anse, la Bourroche et les vergers.

C'est une invitation en bonne et due forme :)

Anonyme a dit...

Invitation notée et acceptée! :-) En août, pendant nos vacances. Et si tu y tiens, on amènera également la sympatique idiote.

La Marsouine a dit...

BEN KIN!!!! Les labradors ont tendance à bien aimer mon lac :)

Anonyme a dit...

Ahhh wow!

J'ai vraiment hâte de retourner dans ton lac.

Moi qui me cherche partout un nouveau lieu pour passer l'été. Tu me rappelles mon attrait pour l'Isle, elle me manque déja et j'ai envie d'y retourner et de louer ma ptite maison parfaite ( tsé celle pleine de fleurs, pas tres loin de la tienne...ma cordonnerie!)Peut être que je cherche trop loin et que je l'ai déja trouvé, mon spot!

Prévois-tu faire comme l'été dernier et y aller souvent, les week ends?
Si je résiste a l'attrait de la campagne et que je reste en ville, j'pourrais prendre des vendredi PM off et m'y rendre avec vous a l'occaz pour survivre au smog!

Hahaha.

L'été...ça urge!

Anonyme a dit...

...et si, pour une obscure raison quelqu'un doute de la véracité de ton texte, je peux en témoigner.

La marsouine ici, et sa famille ont le plus beau terrain que j'ai vu de ma vie, je crois.

C'est huge, huge, huge. Et magnifique!!! Je ne le décrirai pas car tu l'as très bien fait. Mais quel lieu! T'as toute une chance ma vieille!

La Marsouine a dit...

@Evy: lol merci de me soutenir :) J'avoue que j'aimerais bien ça moi que tu réintègre ta petite cordonnerie, on irait te voir moi et ma future grosse bedaine (ben elle est déjà grosse là mais juste de gras, cet été ce serait différent). En plus, ça va être le premier été de bébé Mika. Sérieux, si ma job payante était pas si payante, je la laisserais tomber cet été et j'irais ouvrir le crapet avec toi :) On serait une équipe du tonnerre. Mais, peu importe ce que tu feras cet été, si tu es à l'Isle, ça va me donner une raison de plus d'y aller souvent :)

Anonyme a dit...

Ouais merci d'ajouter des arguments dans mon sac. C'est drole, je cherche tellement à me pousser tout le temps, à me dépasser, à changer que je ne voulais pas stagner en y retournant pour un 4e été(déjà!) mais je réalise mainteantn qu'il n'y a pas de mal a ca, et que si j'ai trouvé mon paradis aussi bien en profiter!

Je m'y sens tellement bien.

Et pour le Crapet, on sait pas trop ce qui se passera non plus...mais on sait bien que je risque d'y etre encore si ca ré-ouvre! Crapette un jour Crapette toujours on dirait! C'est ca, quand on a un endroit dans la peau.

Et Mika et ta future bedaine, deux merveilleux arguments...

Bonne journée Marsouine

Evy la marsouine dans son coeur xoxox

p-s- j'ai lu en premier ''tu as une job payante'' je l'ai trouvée drole.