vendredi 19 octobre 2007

La langue de nos pensées

Un jour, ma marraine, qui a vécu pendant plusieurs années à Toronto, m'avait dit ceci: «J'ai réalisé que j'étais bilingue le jour où j'étais dans un cours, en anglais, que je prenais des notes, en anglais, tout en me demandant ce que j'allais faire pour souper. Je pensais en anglais».

J'ai un anglais excellent. Aucune idée d'où ça vient : pas d'école anglaise, pas d'immersion (1 semaine à Ottawa et 4 jours à Boston, ça ne compte même pas). Juste le cursus scolaire régulier en anglais, à partir de la 3e année, dans mon temps. Dans ma famille, on a une facilité pour les langues. Mon père, un hiver où il s'ennuyait ferme, a ressorti des vieux 33 tours d'une méthode pour apprendre le russe. J'étais en secondaire IV. Tout un hiver à se réveiller vers 7h30 et à entendre «Voit moy Druk, spasiba, da kanishna» (aucune idée de l'orthographe) à tue-tête, ça réveille mal. Le printemps suivant, lorsqu'il es retourné sur le bateau (mon papa est marin), il est tombé sur un homme de roue polonais, qui parlait russe. Mon père n'est jamais allé en Russie et pourtant, de l'avis des Russes qu'il a croisé dans sa vie, il le maîtrise assez bien.

Mais le but de ce billet n'est pas de m'auto-encenser quant à ma maîtrise de la langue de Shakespeare. Je m'interroge aujourd'hui sur un aspect de ma personne qui m'intrigue réellement. Voyez-vous, je me parle beaucoup (paraît que c'est le signe qu'on a de l'argent en banque.... j'attends...). Le plus bizarre, c'est que je me parle rarement en français. Je pense et je me parle en anglais. Quand je faisais des sondages, on nous suggérait (sans nous le dire officiellement puisque c'est un peu illégal) de prendre un pseudonyme anglophone pour les sondage en anglais, les anglos étant chatouilleux sur le fait de parler avec un francophone. Heather Williams était le mien. Bref, je me parle en anglais quand je m'invente des trucs, quand je monte des histoires. Mais le plus étrange, c'est que j'ai réalisé que pour certains sujets, j'étais incapable d'y réfléchir en français, ou difficilement. J'ai fini par comprendre que l'anglais permettait une certaine distance par rapport à moi-même. Que de réfléchir ou me parler en anglais m'empêchait de me dire les «vraies affaires», de me forcer à voir la réalité. Bref, maintenant, quand je me mets à me parler en anglais, je cherche ce que je n'ai pas envie de me dire en français.

J'ai peut-être un problème de dédoublement de personnalité. Au point où j'en suis héhé :)

5 commentaires:

Moukmouk a dit...

C'est vrai que les langues ne disent pas la même chose... dès qu'on commence à vouloir dire des trucs plus complexes, la traductions n'est jamais vraiment possible, il y a toujours des nuances qui ne peuvent pas être pris en compte.

Et encore entre le français et l'anglais il n'y a qu'une petite distance culturelle... mais comment traduire de l'inuktitut au français? ou encore mieux de l'inuktitut au Tupy qui n'a pas le mot neige dans son vocabulaire?

Le professeur masqué a dit...

Bonjour, ici votre docteur. J'ai un magnifique stock de petites pilules roses pour votre problème...

Non, mais sans blague! J'ai eu une blonde interprète et traductrice. Elle vivait souvent ce dédoublement linguistique. De même, ma soeur, marié à un anglophone, passe souvent du français à l'anglais sans trop s'en apercevoir. J'ai souvent entendu des conversations hallucinantes...

L'idée de distanciation est intéressante. Certains chanteurs québécois ont aussi plusieurs opinions quant au fait de chanter en anglais ou en français.

A.B. a dit...

Très intéressant comme auto-analyse, ce billet!
L'une des traductions qui passe le plus mal, je trouve, c'est celle de l'allemand au français. Ça donne lieu à de longues phrases complexes remplies de compléments placés à des endroits peu «utilisés» en français. Pas facile au départ, mais on s'y habitue :o)

La Marsouine a dit...

@safwan: Ja! Ich spreche Deutsch! (deux cours!)

@moukmouk: les Québécois sont devenus maîtres dans l'art de traduire l'intraduisible. Ma prof d'allemand, d'ailleurs, enviait le français en général parce qu'on a des équivalent en français (ex: courriel, ordinateur, etc.). Toutes les nouveaux mots, souvent reliés aux nouvelles technologies, ne sont pas traduites en allemand. On adopte le mot anglais prononcé à l'allemande.

@prof masqué: je DÉSTESTE quand ça m'arrive. Je discute et, soudainement, la chose que je veux exprimer me vient à l'esprit en anglais et je suis incapable de récupérer l'équivalent en français. Je dévore du Katy Reichs ces temps-ci, une auteure confronté à cette dualité linguistique. Ça me permet de me sentir moins seule.

A.B. a dit...

Lorsque j'écoute trop la télé en anglais, il m'arrive d'avoir un blanc en classe, exactement comme tu le décris. Le mot anglais est là, mais pas l'équivalent français. C'est très gênant, car j'enseigne le... français!
Comme toi, je ne sais pas pourquoi je comprends bien l'anglais: je viens de la Gaspésie où PERSONNE ne parle anglais, j'ai eu des très mauvais enseignants d'anglais au secondaire (ils parlaient à peine la langue; je ne te parle même pas de leur prononciation). Mon grand-père maternel était Irlandais, donc anglophone, mais il n'a jamais parlé sa langue à la maison. Peut-être que j'ai ça dans mon ADN ;o) En tout cas, j'ai l'impatience typique des Irlandais!!