jeudi 28 février 2008

Les fantômes du passé

Il y a des gens qui ont déjà fait partie de nos vies. Certains, nous sommes heureux de les croiser dans la rue et de discuter de tout ce qui a changé dans nos vies depuis la dernière fois. D'autres que nous saluons avec un malaise parce que nous nous sommes tellement éloignés que les choses à dire sont difficiles à trouver. Il y a aussi ceux que nous avons essayé de garder dans nos vies mais envers qui nous avons abdiqué, admettant la distance et laissant les ponts disparaître d'eux-mêmes.

Hier, je vous disais que je n'aimais pas les mercredis. Mais la journée d'hier n'était pas seulement un mercredi. Vous savez, il y a de ces journées où tout arrive en même temps. On pourrait parler de synchronicité. Moi je vois un peu ça comme un genre de trou noir gravitationnel où s'accumule les informations déstabilisantes pour se jeter sur nous toutes à la fois, à l'improviste :)

Mais suffit les métaphores, venons en au cœur du sujet. En fait, cette histoire comporte deux actes qui ne sont pas sans liens.

Premier acte: rencontre fortuite.

Hier donc, vers 15h et quelques, après avoir terminé une petite journée de travail, je rentrais à la maison, à pied, l'Élu ne pouvant raisonnablement quitter son travail aussi tôt pour me faire un taxi. Ça ne me dérangeait pas, j'aime bien, quand il ne fait pas trop froid, marcher jusque chez moi, fabulant dans ma tête et me parlant à moi-même. Hier, cependant, au tournant d'une rue, j'ai vu un grand gaillard marcher nonchalamment sur le trottoir. Mon cerveau l'a reconnu avant moi puisque j'ai eu l'impression de le connaître. Après quelques secondes, nous nous sommes mutuellement reconnus. C'était mon ami Weezer. Je crois que notre dernière rencontre remontait à près de deux ans. De la même façon, sur la rue. Weezer est, en quelque sorte, un vestige de mon adolescence. Quand j'avais 16 ans, j'ai traversé le fleuve pour m'immiscer dans une «gang» de punkrocker, majoritairement masculine. Ce fut l'époque de l'alcool, de la drogue, du rock'n roll, un peu du sexe et, pour moi, la découverte avide d'une amitié qui m'avait si cruellement manqué tout au long de mon adolescence. Nous avons donc discuté de tous ces garçons qui étaient mes amis. Certains le sont encore, d'autres demeurent un bon souvenir que je préfère laisser dans le passé, certains nous ont quittés, à l'époque ou plus récemment.

Weezer m'a parlé de lui et de sa vie. Je l'écoutais et je l'observais, ne pouvant m'empêcher de constater la maturité de ses traits. Son visage était le même que celui de l'adolescent qu'il était à l'époque, mais personne ne songerait aujourd'hui à utiliser un terme autre qu'«homme» pour le décrire. La barbe rasée le matin qui commençait à réclamer son territoire, de minuscules et fines lignes encore beaucoup trop jeunes pour être appelées rides, la carrure de sa mâchoire qui avait perdu les dernières rondeurs de l'enfance, qui s'accrochent subtilement jusqu'à la vingtaine. J'avais devant moi un homme de 25 ans que je ne connais plus très bien mais dont je garde le souvenir de quelqu'un aux idées ancrées, au tempérament artistique et d'une douceur profonde malgré les angles parfois carrés de l'extérieur. J'étais contente de le voir, contente de l'entendre me parler de lui, contente de lui parler de moi et voir un réel intérêt de sa part. Nous nous sommes quittés après une quinzaine de minutes. Je ne manquai pas de l'inviter à se revoir, ne sachant pas très bien si cette invitation était de celles que l'on fait sachant qu'elle demeurera lettre morte, ou s'il s'agissait au contraire d'un nouveau départ à une amitié adulte et différente de l'ancienne. Seul l'avenir nous le dire.

Deuxième acte: rappel amical

En continuant ma route, j'ai eu envie d'appeler ma meilleure amie d'enfance. En effet, c'est avec elle que j'avais fait la découverte de notre ancienne gang, c'est ensemble que nous traversions le fleuve pour errer dans les rues du village voisin. J'ai donc empoigné mon cellulaire et ai laissé un message sur sa boîte vocale montréalaise, à moitié à bout de souffle de marcher et parler en même temps. Elle et moi remontons assez loin, jusqu'aux bancs d'autobus de la «bus à Daniel», comme on l'appelait. Nos frères, deux petits génies, sont aussi des meilleurs amis. Nous avons passé plusieurs après-midi à quatre à courir dans le champ ou à jouer au Lego. Ils sont quatre enfants chez elles, j'imagine que ses parents appréciaient l'opportunité de diminuer de moitié leur charge familiale, le temps d'un après-midi. Depuis la fin de l'adolescence, nous nous voyons relativement rarement. C'est à cela, en fait, que l'on reconnaît une véritable amitié. Même si nous sommes 6 mois sans se parler, on reprend la conversation comme si on s'était parlé la veille. La plupart du temps, lorsque l'une de nous appelle, l'autre pensait justement à le faire, un peu comme si on se prévenait mentalement que c'était le temps de se recontacter. Elle à Montréal, moi à Québec, la distance joue un rôle majeur. J'ai terminé les cours, elle a commencé une formation technique exigeante après son baccalauréat, nos horaires ne concordent pas facilement. Les fêtes et l'été en plus de mes déplacements vers la métropole sont les seuls occasions de se revoir.

Donc, après toutes les mise à jour dont je venais d'être informée sur nos amis, j'avais envie de discuter de tout cela avec elle. Elle m'a rappelé vers 16h (timing parfait puisque l'Élu et moi allions bon train vers une chicane stupide qui s'est dissoute d'elle-même dans l'intervalle). Nous avons passé près d'une heure à discuter, de nos vies, du travail, de situations particulières dans nos vies dont nous avions besoin de parler. Toutefois, vers la fin de la conversation, les choses ont pris une tournure inattendue. Nous discutions d'une situation délicate avec une amie et j'étais lancée sur un exposé vantant les mérites de la franchise et de la confiance comme éléments fondamentaux d'une amitié solide. C'est alors qu'elle m'a interrompue pour me dire que, dans ce cas, elle avait quelque chose à m'annoncer. Depuis quelques temps, elle fréquentait mon ancien amoureux.

Sur le moment, je dois avouer que j'ai été seulement surprise, ayant d'ailleurs déjà prévenu l'homme en question qu'il n'était pas son genre. Mon orgueil a aussi un peu souffert, ce dernier devant jubiler à l'idée de m'avoir donné tort :) Mais, dans l'ensemble, je ne me sentais pas troublée outre-mesure. Elle a semblé soulagée, nous en avons parlé un peu, après tout, je connais l'homme par coeur et je sais bien comment ça doit se passer. Nous avons ensuite raccroché, c'était l'heure du repas.

J'avoue qu'après que le (petit) choc de la surprise fut passé, j'ai beaucoup repensé à la chose. Quelque chose me dérangeait et je n'arrivais pas à mettre le doigt sur ce que c'était. Après tout, lui et moi ne sommes plus ensembles depuis près de 5 ans et je vis avec un merveilleux Élu. D'ailleurs, j'avais récemment pris la décision de ne plus m'acharner à essayer de conserver un lien entre lui et moi, nos conversations tournant souvent au vinaigre. J'avais depuis longtemps l'impression que nous n'avions plus rien en commun et avions évolué selon des tangentes très différentes. Par principe, toutefois, je voulais conserver des liens courtois. Je ne voulais pas être de celle qui ne peux pas rester civilisée avec ses ex et, comme le seul autre est un monstre violent, manipulateur et abusif, il était mon seul espoir. Mais, après avoir discuté de mes frustrations avec l'Élu suite à ma dernière confrontation avec mon ex, mon amoureux m'a incité à couper définitivement les ponts, me faisant comprendre que j'en avais le droit.

J'ai donc compris, vers la fin de la soirée d'hier, ce qui me dérangeait dans le fait que ma meilleure amie et mon ex se fréquentent. Ce sentiment m'était familier, version soft de l'angoisse (qui s'est révélée justifiée) qui m'a envahi quand ma cousine a commencé à fréquenter mon meilleur ami, relation qui a tourné au désastre, en partie à cause de moi. Ce genre de «mélange» est dangeureux, pour moi du moins. J'anticipe peut-être trop, peut-être que leurs fréquentations ne se transformeront pas en relation. Mais, si c'est le cas, comment est-ce que je réintègre dans ma vie quelqu'un que j'en avais exclus, mais qui l'a déjà partagé pendant près de trois ans?


Conclusion:

C'est ici que m'amène cette réflexion en deux temps. L'amitié et l'amour. Québec, Montréal. Le monde est immense et il est minuscule. Et quand on croit en avoir fini avec quelqu'un, il nous attends dans le détour, de la façon la plus imprévisible.

Je croyais pouvoir laisser dormir mes démons, mais je me rends compte qu'un jour ou l'autre, je devrai confronter tout ce qui n'est pas réglé dans ma vie. Mais, pour la première fois, ça ne me fait plus peur. Parce que j'ai l'Élu qui m'accompagne sur la route, parce qu'ensemble, nous construisons une vie, brique par brique, tous les jours. Parce que je ne suis pas seule. Parce que j'ai changé, évolué, grandi.

Hier, j'ai dit à mon ami Weezer, à propos du parcours inattendu d'un de nos amis: «Les adolescents que nous étions ne l'ont jamais vu venir celle-là». Il m'a répondu que nous avions grandi, que nous avions changé et, surtout, que nous n'étions plus ces adolescents. Et je me suis rendue compte que, pour la première fois, j'y croyais. Je ne sais pas quand cela s'est produit mais, à un moment donné, dans les dernières années, j'ai laissé partir les derniers relents de l'adolescente torturée et malade que j'étais. Et cette idée me donne envie de sourire :)

6 commentaires:

Anonyme a dit...

A part pour la période "sex, drugs and rock&roll", j'aimerais bien que merveille te ressemble en grandissant... Et tu vois, même à presque 46 ans, il est toujours bon de se voir et de se reconnaître dans l'oeil de l'autre, pour mesurer le chemin parcouru.

La Marsouine a dit...

C'est pas mal le plus beau compliment qu'une maman peut faire ça! Merci merci merci.

Je me suis moi-même surprise cette semaine en utilisant le terme adulte pour parler de moi-même. Je pense que ça ne m'était jamais arrivé. J'ai un petit côté Peter Pan :)

Moi en tout cas, j'aimerais bien te ressembler à 46 ans :)

Anonyme a dit...

Quel texte touchant!

« Mais, pour la première fois, ça ne me fait plus peur. »

Québec, Montréal...c'est drole que tu en parles comme ça à la fin de ton texte. On a beau l'éviter ou prétendre qu'il est ailleurs, le passé nous rattrape toujours sur le coin de la rue! Avant, j'avais l'illusion que c'était un truc qui arrivait surtout à Québec, mais je réalise maintenant qu'on ne peut jamais vraiment l'éviter et que même à Montréal, même à NYC, même au bout du monde les fantômes du passé reviennent toujours nous surprendre quand on ne s'y attend plus
...

P-S- Oui on devient des adultes mais ça nous empêchera jamais de flotter en plein milieu d'un lac magique avec nos yeux d'enfants
Cest un peu rassurant de se le dire!

A.B. a dit...

Québec, Montréal. C'est étrange de te lire alors que, justement, j'ai fait la route Montréal/Québec ce matin pour visiter M. Safwan qui a élu domicile dans le Vieux-Québec pour son travail. Avec ce déménagement, j'affronte moi aussi un paquet de fantômes et je dirais même que je gagne la partie.
Merci pour ce billet touchant.

Anonyme a dit...

ça prends du talent et de la maturité émotive, pour accoucher d'un tel texte.merci pour ce petit morceau de nostalgie.

La Marsouine a dit...

Vous me faites rougir :)